Un crash toujours dans le brouillard |
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Un rapport vénézuélien sur le vol Panamá-Fort-de-France, qui vit périr 152 Français en 2005, pointe les fautes des pilotes. Mais il existe d’autres pistes.
C’est la catastrophe aérienne qui a tué le plus de Français. Le 16 août 2005, 152 touristes martiniquais trouvaient la mort suite au crash, dans les montagnes vénézuéliennes, du MD-82 de la compagnie colombienne West Caribbean qui les ramenait d’un séjour au Panama. La Martinique pleure, les politiques promettent la vérité. Cinq ans plus tard, le voile commence juste à se lever. Les autorités vénézuéliennes ont enfin publié, vendredi, leur rapport d’enquête technique, pourtant bouclé en 2008. Il pointe les lourdes fautes des pilotes, tout comme le rapport rendu en 2009 par les experts judiciaires français. Suite à une mauvaise préparation du vol, ils se précipitent dans un dangereux amas nuageux. La vitesse baisse, probablement à cause de la surcharge de l’avion et du givrage des ailes. S’ensuit une incroyable succession d’erreurs - les experts en recensent 57 ! Le MD-82 décroche. Le commandant de bord ne le voit pas, se trompe en tentant de reprendre le contrôle. C’est la chute. Les pilotes sont morts. Et l’enquête du juge d’instruction de Fort-de-France, Albert Cantinol, blanchit les autres protagonistes du dossier. «Si le juge n’ordonne pas de nouvelles investigations, cette affaire est menacée de non-lieu», déplore l’avocat des familles des victimes, Jean-Pierre Bellecave. Pourtant, les éléments des dossiers français, américain et vénézuélien, auxquels Libération a eu accès, mettent en évidence un faisceau de responsabilités. Et illustrent les difficultés de notre système judiciaire face aux accidents aériens.
Mise en faillite peu après le crash, la West Caribbean avait été sanctionnée plusieurs fois par l’aviation civile colombienne, et placée sous surveillance pour déconfiture financière. Elle ne payait pas ses salariés depuis quatre mois, ne renouvelait pas toujours leurs licences, et leur imposait des dépassements d’heures de vol. Suite au crash d’un de ses appareils en mars 2005 (8 morts), elle ne faisait plus voler qu’un seul avion, «vraisemblablement» surexploité (disent les gendarmes français) et maintenu en état grâce aux pièces «cannibalisées» sur les autres appareils. Ses documents de maintenance ont probablement été falsifiés, puisqu’ils mentionnent une intervention sur l’avion… deux mois après le crash. Un sénateur colombien a dit devant une commission d’enquête avoir les «preuves» du «favoritisme» dont bénéficiait la West auprès des autorités aériennes. Est-ce parce qu’elle était basée à Medellin, fief des narcotrafiquants ? Ou à cause de ses contrats avec l’armée ? En Colombie, tout a été fait pour étouffer l’affaire. Les magistrats et plusieurs témoins ont été menacés de mort. Tout comme le président du syndicat des pilotes, qui s’est exilé après l’assassinat de sa secrétaire. Lors de son enquête sur place, le juge Cantinol a renoncé à se rendre à Medellin du fait de «l’atmosphère tendue», écrivent les gendarmes. Le responsable de la maintenance de la West, inquiet pour sa vie, a refusé d’aller rencontrer le juge à Bogotá, car il était «malade». Finalement, les experts français n’ont pas trouvé d’élément impliquant la compagnie et la maintenance de l’avion, en concédant que ses difficultés «ont certainement pesé sur la qualité des opérations aériennes».
Il ne pouvait ignorer les difficultés financières de la West, puisqu’elle lui devait 351 000 dollars (275 000 euros). Il a payé l’essence et la manutention au sol à l’aéroport de Fort- de-France, et achetait même des pièces détachées ! C’est toujours lui qui a sollicité auprès de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), à la place de la West, le droit de se poser en France. Plus grave encore : un mois avant le crash, le broker recevait une lettre de la compagnie lui demandant une avance de 182 000 dollars pour remettre un avion en état. Au vu de ces éléments, les familles des victimes ont déposé plainte en France contre Cimetier au printemps. Sans succès pour l’instant.
Mais la DGAC n’a pas enquêté sur la situation financière de la compagnie. Elle n’a pas contacté non plus son homologue colombienne. Si elle avait demandé des précisions sur «l’état financier ou les sanctions infligées» à la West, «il ne fait aucun doute que rien ne l’aurait empêché d’obtenir une telle information», a ironisé le directeur de l’aviation civile colombienne devant la commission d’enquête sénatoriale. La compagnie étant inconnue, la DGAC décide tout de même de diligenter deux contrôles. Lors du premier, le 15 mai 2005, le pilote n’a ni sa licence (il n’a que celle de pilote-instructeur) ni le contrat d’assurance de l’avion, ce qui aurait pu conduire la DGAC à clouer l’appareil au sol. La seconde inspection n’a rien donné. Mais de l’aveu même d’Antoine J., il ne s’agit que de «contrôles rapides» et superficiels. Rien ne peut être reproché à la DGAC sur le plan judiciaire, puisqu’elle a respecté les procédures et que la sécurité incombe à «l’Etat d’immatriculation» de l’avion. Suite au crash, la DGAC a durci ses exigences techniques et augmenté la fréquence des contrôles.
Selon les experts interrogés par Libération, le MD-82 de l’américain McDonnell Douglas (firme rachetée en 1997 par Boeing) est connu dans le milieu aéronautique pour être sensible au décrochage. D’où l’importance d’alerter les pilotes à temps lorsque l’avion devient incontrôlable. Or, la boite noire montre que les pilotes de la West ont tardé à s’en rendre compte. Les experts judiciaires français écrivent que le «vibreur de manche», qui prévient les pilotes du décrochage, n’est pas vraiment conçu pour fonctionner à haute altitude. Le rapport vénézuélien souligne en creux que l’alarme ne s’est pas déclenchée à temps. Il recommande à Boeing d’en modifier les algorithmes, et d’ajouter une nouvelle alarme sonore et/ou visuelle qui, «avec un temps déterminé comme suffisant, pourrait alerter l’équipage». De quoi mécontenter l’avionneur. De sources proches du dossier, les préoccupations de l’administration américaine ne seraient pas étrangères à la publication tardive du rapport vénézuélien. |
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