Vol Whisky Romeo Zulu" : l'histoire vraie d'une catastrophe aérienne contée par son héros
LE MONDE | 28.06.05 | 13h45 • Mis à jour le 28.06.05 | 13h45
C'est une figure commune dans les films "inspirés de faits réels". Après que l'on a conté l'histoire avec les outils de la fiction, on montre, souvent au moment du générique de fin, les images d'actualités télévisées tournées au moment des faits réels en question. On dispose ainsi d'une garantie de véracité, d'un contrôle des libertés prises par le directeur du casting avec la réalité physique des personnages.
Le procédé est utilisé à la fin du film argentin Vol Whisky Romeo Zulu. Ce titre est le nom de code d'un avion des lignes intérieures argentines qui s'est écrasé lors du décollage, à Buenos Aires, le 31 août 1999, faisant 67 morts. Pendant que le générique de fin défile, on voit un quadragénaire au regard triste, mal rasé, qui répond aux questions d'un journaliste de télévision. Il a piloté pour la compagnie Lapa, a prévenu ses dirigeants que leurs manquements à la sécurité les conduisaient droit à la catastrophe, et commente d'un ton affligé le crash du 31 août.
Son visage ne fait pas que ressembler à celui du héros dont on vient de suivre les tribulations pendant cent minutes : c'est le même, c'est Enrique Piñeyro.
De son expérience d'oiseau de mauvais augure, Piñeyro a tiré un scénario qu'il a réalisé et interprété. Ce qui donne à son film une résonance inédite au cinéma, où la veine autobiographique est généralement exploitée sur le mode intime. Un peu comme si le journaliste américain Lowell Bergman, qui dénonçait les malversations de l'industrie de la cigarette, avait préféré réaliser Révélations et tenir son propre rôle au lieu de laisser l'affaire au réalisateur Michael Mann et à Al Pacino.
Ce que Vol Whisky Romeo Zulu perd dans cette situation inédite (l'expérience d'un réalisateur, un peu de distance par rapport à son sujet), le film le gagne en sincérité et en véracité. Nul spectateur ne pourra ignorer la qualité de "personnage réel" d'Enrique Piñeyro (d'autant qu'on aura peu de chances de voir le film au hasard d'un vol long-courrier) et, malgré son caractère fictif, chacun percevra la charge documentaire de l'histoire.
D'autant que ce premier film est loin d'être dépourvu d'intérêt cinématographique. La construction dramatique obéit aux lois du cinéma de dénonciation avec une clarté qui permet aux événements d'avancer rapidement, aux enjeux d'apparaître clairement. Pendant la seconde moitié des années 1990, sous le gouvernement de Carlos Menem, l'Argentine connaît une croissance désordonnée, alors qu'elle n'a pas liquidé les séquelles de la dictature militaire. C'est l'armée de l'air qui contrôle le trafic aérien, ce sont des amis des généraux qui dirigent les nouvelles compagnies privées comme la Lapa ; moyennant finances, les premiers ferment les yeux sur les manquements à la sécurité.
Le héros qu'incarne Piñeyro (qui n'est jamais nommé dans le film) tente de faire respecter les règles élémentaires et continue malgré tout de voler. C'est là que le metteur en scène et interprète abat l'un de ses atouts : les séquences aériennes sont filmées à l'intérieur du cockpit d'un avion en vol et parviennent à communiquer quelque chose de cette magie.
Vol Whisky Romeo Zulu est aussi un autoportrait - souvent maladroit, souvent attachant - d'un homme qui dérive à contre-courant du reste de la société, guidé par son sens moral, préservé des chocs les plus durs par sa fortune personnelle. Le personnage est curieux, mais son modèle et auteur ne le livre qu'avec réticence, se repliant souvent derrière les lieux communs de la fiction. Il en sort un film qui réussit à honorer ses aspirations civiques et à imposer la vision très personnelle d'un cinéaste débutant.