Présenté dans de nombreux festivals, Vol Whisky Romeo Zulu a décroché en 2004 le Soleil d'or, la principale récompense du Festival des cinémas et cultures d'Amérique latine de Biarritz, ainsi que le Prix du public au Festival du cinéma indépendant de Buenos Aires.

 

Enrique Piñeyro est concerné par le drame relaté dans son film (le Crash du Boeing 737 qui provoqua la mort de 67 personnes en 1999), car il a longtemps travaillé dans le monde de l'aviation, collaborant même avec la Compagnie Lapa, celle dont provient le Boeing. Né à Gênes, en Italie, en 1956, Pinheiro étudie la médecine à l'université de Buenos Aires. Spécialisé en médecine aéronautique, il devient enquêteur sur les accidents d'aviation à l'Université de Californie du Sud. En 1988, il intègre comme pilote la compagnie aérienne LAPA (lignes privées), mais en raison d'un désaccord concernant la politique de sécurité de l'entreprise, il décide de démissionner de son poste de commandant en 1995. Dans sa lettre de démission, il notait : "A de nombreuses reprises, j'ai signalé les risques qui étaient pris sur la vie et sur l'intégrité des personnes et des biens transportés. Non seulement je n'ai pas été écouté mais on m'a demandé de me rétracter par écrit de la lettre envoyée aux directeurs, suite aux pressions pour voler de nuit avec un avion qui avait deux horizons artificiels hors service (...)" Deux ans plus tard, Enrique Piñeyro est Officier de Sécurité de l'Association des Pilotes de Lignes Aériennes (APLA). Celle-ci le désignera pour enquêter sur l'accident du DC-9 de la compagnie Austral à Fray Bentos (Uruguay) en 1997.

 

L'histoire de "Whisky Romeo Zulu"

31 août 1999. Le Boeing 737 de la compagnie argentine LAPA s’enflamme après avoir percuté un terre-plein dans le centre de Buenos Aires et provoque la mort de 67 personnes. Whisky Romeo Zulu narre l’histoire qui mène à ce terrible accident. Réalisé et interprété par Enrique Piñeyro, ex-pilote de la compagnie, démissionnaire juste deux mois et demi avant la tragédie, le film révèle la trame complexe des complicités entre la Force Aérienne et LAPA pour esquiver les contrôles de sécurité dans le but d’obtenir de plus en plus de bénéfices.
Les rêves d’enfance du protagoniste de devenir pilote de ligne en Argentine se heurtent à une réalité très différente de celle imaginée. Son dilemme consiste à faire en sorte de respecter les réglementations de sécurité tout en conservant son travail sans cesse menacé par les pressions de ses supérieurs. Un procureur fédéral enquête, malgré les menaces, convaincu qu’une tragédie d’une telle ampleur ne peut être uniquement attribuée à une erreur de pilotage. Il parviendra à emmener devant le tribunal pénal les responsables les plus importants de la compagnie et de l’autorité aéronautique, établissant un précédent unique dans l’histoire de l’aviation commerciale.

 

CRITIQUE DU FILM

Vol Whisky Romeo Zulu" : l'histoire vraie d'une catastrophe aérienne contée par son héros
LE MONDE | 28.06.05 | 13h45  •  Mis à jour le 28.06.05 | 13h45


C'est une figure commune dans les films "inspirés de faits réels". Après que l'on a conté l'histoire avec les outils de la fiction, on montre, souvent au moment du générique de fin, les images d'actualités télévisées tournées au moment des faits réels en question. On dispose ainsi d'une garantie de véracité, d'un contrôle des libertés prises par le directeur du casting avec la réalité physique des personnages.

Le procédé est utilisé à la fin du film argentin Vol Whisky Romeo Zulu. Ce titre est le nom de code d'un avion des lignes intérieures argentines qui s'est écrasé lors du décollage, à Buenos Aires, le 31 août 1999, faisant 67 morts. Pendant que le générique de fin défile, on voit un quadragénaire au regard triste, mal rasé, qui répond aux questions d'un journaliste de télévision. Il a piloté pour la compagnie Lapa, a prévenu ses dirigeants que leurs manquements à la sécurité les conduisaient droit à la catastrophe, et commente d'un ton affligé le crash du 31 août.
Son visage ne fait pas que ressembler à celui du héros dont on vient de suivre les tribulations pendant cent minutes : c'est le même, c'est Enrique Piñeyro.
De son expérience d'oiseau de mauvais augure, Piñeyro a tiré un scénario qu'il a réalisé et interprété. Ce qui donne à son film une résonance inédite au cinéma, où la veine autobiographique est généralement exploitée sur le mode intime. Un peu comme si le journaliste américain Lowell Bergman, qui dénonçait les malversations de l'industrie de la cigarette, avait préféré réaliser Révélations et tenir son propre rôle au lieu de laisser l'affaire au réalisateur Michael Mann et à Al Pacino.
Ce que Vol Whisky Romeo Zulu perd dans cette situation inédite (l'expérience d'un réalisateur, un peu de distance par rapport à son sujet), le film le gagne en sincérité et en véracité. Nul spectateur ne pourra ignorer la qualité de "personnage réel" d'Enrique Piñeyro (d'autant qu'on aura peu de chances de voir le film au hasard d'un vol long-courrier) et, malgré son caractère fictif, chacun percevra la charge documentaire de l'histoire.
D'autant que ce premier film est loin d'être dépourvu d'intérêt cinématographique. La construction dramatique obéit aux lois du cinéma de dénonciation avec une clarté qui permet aux événements d'avancer rapidement, aux enjeux d'apparaître clairement. Pendant la seconde moitié des années 1990, sous le gouvernement de Carlos Menem, l'Argentine connaît une croissance désordonnée, alors qu'elle n'a pas liquidé les séquelles de la dictature militaire. C'est l'armée de l'air qui contrôle le trafic aérien, ce sont des amis des généraux qui dirigent les nouvelles compagnies privées comme la Lapa ; moyennant finances, les premiers ferment les yeux sur les manquements à la sécurité.
Le héros qu'incarne Piñeyro (qui n'est jamais nommé dans le film) tente de faire respecter les règles élémentaires et continue malgré tout de voler. C'est là que le metteur en scène et interprète abat l'un de ses atouts : les séquences aériennes sont filmées à l'intérieur du cockpit d'un avion en vol et parviennent à communiquer quelque chose de cette magie.
Vol Whisky Romeo Zulu est aussi un autoportrait ­ - souvent maladroit, souvent attachant ­ - d'un homme qui dérive à contre-courant du reste de la société, guidé par son sens moral, préservé des chocs les plus durs par sa fortune personnelle. Le personnage est curieux, mais son modèle et auteur ne le livre qu'avec réticence, se repliant souvent derrière les lieux communs de la fiction. Il en sort un film qui réussit à honorer ses aspirations civiques et à imposer la vision très personnelle d'un cinéaste débutant.